Marcel Bruel : un géant disparaît
Par Henri Batiot, lundi 19 novembre 2007 à 10:00
Marcel Bruel est décédé le dimanche 18 novembre, d‘une brutale crise cardiaque, à son domicile d’Asplos-Gelles, dans l’Aveyron. Il avait 85 ans. Nos premières pensées vont bien sûr à son épouse Georgette, qui fût la compagne de toute sa vie. Nous l’entourons de notre affection. Nous saluons aussi la douleur de sa famille, de sa soeur Jeanine, de ses trois filles Marie-José, Marie-Claude, Elizabeth, de son fils Jean-Marc, de leurs enfants et petits enfants.
Avec Marcel Bruel disparaît une des dernières figures emblématiques de l’agriculture française du 20e siècle. Réfractaire au STO Service du Travail Obligatoire), résistant, formé par la JAC (Jeunesse Agricole Catholique), acteur de la « révolution silencieuse » des années 50-60, il fut un militant paysan de tous les combats. Jeune délégué de la CGA, il participe au congrès fondateur de la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) en 1946. Il restera marqué par le « serment de l’unité paysanne » prononcé ce jour là par le président Eugène Forget dans l’exaltation, et fera voeux lui-même de « chasteté politique ». Il a été successivement président de la FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) de l’Aveyron en 1956, puis secrétaire général adjoint (1960) et secrétaire général (1961) de la FNSEA, à une époque où le débat d’idées, les stratégies syndicales, les interactions politiques et sociales, la naissance de l’Europe, la modernisation de l’agriculture donnaient à ces postes une extraordinaire ampleur. Quand il quitte le secrétariat général de la FNSEA en 1968 - Michel Debatisse lui succède -, il devient président de la Confédération nationale de l’élevage et président de la Fédération nationale bovine.
A compter de cette date, il va incarner toutes les ambitions et les évolutions d’un secteur bétail-viande à l’époque particulièrement archaïque. Sous la férule de Marcel Bruel, et de son collaborateur Pierre Mazeran, la FNB va devenir une organisation majeure, et constituer avec la CNE un « pôle élevage » au sein de la FNSEA, contrebalançant l’influence du « pole céréalier » formé atour de l’AGPB (Association Générale des Producteurs de Blé et autres céréales). Le « plan Bruel pour la viande » qu’il porte en gestation depuis 1958 va s’accomplir dans les années suivantes : vente des animaux en carcasses et sur une grille de classification, concentration des abattoirs, cotations clarifiées, identification pérenne et assainissement du bétail etc. Et surtout : la création d’un Office de la viande, sa « grande » revendication. Jacques Chirac, ministre de l’agriculture, lui donnera satisfaction en 1974 avec la création de l’Onibev (Office National et Interprofessionnel du Bétail et de la Viande), qui précédera de quelques années l’Ofival (Office de l’Elevage) de 1982. Marcel Bruel voulait, avec cet Office comparable à celui qui fonctionnait depuis 1936 pour les céréales, donner les moyens aux professionnels de mieux connaître et mieux gérer le marché des viandes, par l’intervention, le stockage, l’exportation, la modernisation du marché…et l’implication directe de l’Etat.
A la même époque, Bruel participe à la naissance de la société Socopa, qui va devenir le n°1 de la viande en France. Dans sa région, il a créé la SICA Centre Sud, qui va bientôt s’allier à Champagne Viandes. En 1978, sur une intuition qu’il fait partager à certains représentants des autres professions de la filière, il créée l’interprofession Interbev (Association nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes), dont il confie l’animation à Jean-Louis Bignon dans le contexte très aigu de la crise du veau aux hormones de 1980. Alerté par cet épisode qui lui a montré l’émergence du pouvoir des consommateurs et la nécessité de communiquer de façons claire auprès des prescripteurs d’opinion, il fonde en 1987 le Centre d’information des viandes. Louis Orenga, son directeur, fêtait la semaine dernière les 20 ans d’existence du CIV en rendant un vibrant hommage à son fondateur devant plus de 300 personnalités. L’Office, Interbev, le CIV : la filière française allait vérifier la justesse des choix de Marcel Bruel lors de la crise de la vache folle. On peut dire aujourd’hui que sans ces structures, l’économie de la viande eut été bien plus gravement et plus durablement touchée qu’elle ne le fût. Ayant quitté la présidence de la FNB en 1984 au profit de Louis Collaudin, Marcel Bruel s’éloigne d’Interbev en 1995 et du CIV en 96 en remettant ses pouvoirs à Joseph Daul.
Catholique sans l’ombre d’un doute, aimant comme il le disait parfois « porter les valeurs de l’Evangile » dans le militantisme syndical, il avait été très proche par la pensée et l’action d’un autre aveyronnais, le président de la FNSEA Raymond Lacombe. Il avait présidé ou été administrateur de très nombreux organismes départementaux et régionaux (Safalt, ADRA, Cadauma, Cuma du Bas-Quercy etc.). Marcel Bruel a été maire de sa commune de Salvagnac St Loup en 1959. Il va la regrouper avec la commune de Loupiac, pour former celle de Causse-et-Diège.
Marcel Bruel avait été fait Commandeur de la Légion d’Honneur en janvier 2007 « sur la réserve personnelle du président de la République ». Sa décoration lui avait été remise par son ami Jean Pinchon le 24 juin dernier, devant une foule de personnalités et d’amis. Il était également Commandeur du Mérite Agricole et Commandeur de l’Ordre National du Mérite.
Informations issues du blog de « François LANDRIEU » :
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